Un projet d’envergure pour accompagner la mise en œuvre de dispositifs de formation de formateurs en agroécologie qui repose sur la mobilisation de savoirs endogènes en collaboration avec des chercheurs sénégalais, béninois et togolais.
Dans le cadre de l’appel à projet « Alimentation durable et Agroécologie en Afrique », le projet porté par Jean-Pierre Del Corso, Professeur de sciences économiques à l’ENSFEA, « Accompagner la mise en œuvre de dispositifs de formation de formateurs en agroécologie reposant sur la mobilisation de savoirs endogènes », a obtenu un financement de 150 K€ de la Région Occitanie pour une durée de trois ans. Ce projet rassemble des chercheurs de France (ENSFEA/UT2J) et d’Afrique (Sénégal/Bénin/Togo), mais aussi des enseignants de l’enseignement technique agricole (comme le lycée d’Auzeville) et des acteurs du monde associatif tels que « SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires ».
Sur quoi porte ce projet ?
Ces dernières années, on assiste à l’émergence de démarches agroécologiques initiées par des collectifs d’agriculteurs en Afrique et en Occitanie. Ces démarches basées sur les échanges et la mutualisation d’expériences entre agriculteurs inaugurent de nouvelles formes d’apprentissages collectifs. Reposant sur des savoirs endogènes (cf. encart), ces apprentissages permettent de soutenir des processus d’innovation tout en limitant les prises de risques techniques et économiques pour les acteurs car les coûts d’apprentissage sont supportés par le collectif.
La diffusion et l’essaimage sur une plus grande échelle territoriale de démarches agroécologiques basées sur des savoirs endogènes butent cependant sur des obstacles socio-cognitifs non négligeables. En effet, l’adoption de pratiques agroécologiques est conditionnée par d’importantes transformations mentales en agriculture : telle que la nécessité d’une rupture avec l’habitude bien ancrée d’utilisation systématique de produits phytosanitaires.
Savoirs endogènes
Par définition, les savoirs endogènes sont très largement inscrits (situés) dans les territoires. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, ces savoirs agricoles traditionnels ont jadis joué un rôle déterminant dans le maintien de l’équilibre des écosystèmes ruraux, avant d’être fortement remis en cause par les programmes d’intensification agricole développés à l’initiative des gouvernements et des organisations internationales. La forte urbanisation et la croissance démographique ont également eu un impact négatif sur la préservation de ces savoirs. Au final, ils ont été souvent déconsidérés, voire en partie oubliés. Ils représentent pourtant des ressources territoriales potentiellement activables pour stimuler des formes d’innovation frugale (Radjou, 2014) en agriculture et soutenir la mise en place de systèmes agroécologiques comme le prouvent les premières réussites d’expériences développées dans les territoires d’Occitanie et d’Afrique subsaharienne. Dans ce deuxième territoire, des fermes écoles agroécologiques récemment créées parviennent, souvent avec bonheur, à réactiver des savoirs et des pratiques agricoles endogènes dans des démarches collectives agroécologiques (voir par exemple : projet Beer Shéba, ActSol, Kaydara, Nguiguiss Bamba et Tolour Keur au Sénégal).
Les dispositifs de formation, et tout particulièrement ceux axés sur la formation des formateurs, sont évidemment des vecteurs potentiellement majeurs pour soutenir de telles révisions des modes de raisonnement et favoriser l’essaimage de pratiques agroécologiques. Pour jouer pleinement ce rôle, les dispositifs en question nécessitent d’être repensés. D’une part, la conception des curricula en termes de compétences semble devoir s’imposer dans la mesure où l’objectif prioritaire est de favoriser la maîtrise par les apprenants de connaissances opératoires et situées, et donc très sensibles aux spécificités des contextes d’application. D’autre part et complémentairement, il s’agit d’associer étroitement les acteurs locaux, détenteurs de savoirs endogènes, à la conception et à la réalisation des formations. In fine, ces évolutions curriculaires doivent permettre de doter les apprenants de compétences appropriées pour impulser et animer des démarches d’innovation collectives et participatives. Si ces préoccupations commencent à trouver une traduction dans les politiques publiques de formation, elles restent très limitées dans la réalité.
Leviers d’une transition
Le projet vise à identifier et promouvoir l’usage de savoirs agricoles endogènes comme leviers d’une transition agroécologique en s’appuyant sur la formation de formateurs.
La conduite du projet s’appuie sur les démarches innovantes d’agroécologie mises en œuvre dans la Région Occitanie et les trois territoires d’Afrique : le Bassin arachidier au Sénégal, la région des plateaux au Togo, le site rizicole de Dokomey au Bénin.
Quels savoirs endogènes sur les 4 territoires ?
La première étape de ce projet a consisté à identifier les savoirs endogènes spécifiques mobilisées dans les quatre territoires d’étude. Pour chacun de ces territoires, l’objectif a été de dresser une cartographie desdits savoirs afin d’identifier des acteurs individuels et collectifs qui en sont détenteurs, mais aussi de repérer des conditions économiques et financières requises à leur déploiement et des freins socio-économiques à leurs utilisations.
12 stagiaires 6 mois ont été recrutés (6 français et 6 africains) pour réaliser ce travail. Au total, 275 entretiens ont été réalisés par un binôme d’étudiants de master pendant une période entre mars et octobre 2022. Ces entretiens ont permis d’identifier 148 savoirs répartis sur les 4 territoires. L’enquête a montré qu’une grande majorité des savoirs identifiés est issue de sources variées, mais provenant essentiellement de l’héritage familial et d’échanges de conseils entre producteurs locaux.
Un futur diplôme international Nord/Sud
La deuxième étape, actuellement en cours, a pour but d’accompagner et mettre en œuvre une démarche d’ingénierie de formation. Cette nouvelle phase du projet ambitieux est structurée en plusieurs étapes, soit l’écriture de curricula de formation par compétences en agroécologie intégrant des savoirs endogènes, la mise en œuvre expérimentale de ces curricula dans 4 centres de formation agricole (ENSA de Thiès / INFA du Togo / Bénin / ENSFEA-Lycée d’Auzeville) et enfin la capitalisation d’expériences à des fins d’élaboration de dispositifs de formation de formateurs en agroécologie.
L’analyse territoriale comparative et le croisement d’expériences entre les différents partenaires durant toutes les phases de réalisation du programme d’actions sont considérés comme des gages importants de la réussite du projet et de sa dynamique.
L’ambition est que ce dispositif expérimental de formation puisse déboucher dans les années à venir sur un diplôme international de collaboration Nord/Sud d’enseignement supérieur de formation de formateurs en agroécologie.
Vers un revalorisation des savoirs endogènes
Prochainement, une plateforme numérique verra le jour sur laquelle seront déposés les principaux « produits » de l’opération. Cette plateforme a vocation à faciliter le transfert et l’essaimage des acquis de cette opération à une échelle territoriale élargie.
Enfin, un séminaire final est programmé pour mars 2025 à l’ENSFEA de Toulouse, qui sera le point d’orgue de ces études pour ouvrir les conclusions aux acteurs de la société civile. Il constituera un moment important pour dresser un bilan du programme d’actions et engager une réflexion sur les innovations à introduire dans les systèmes de la formation agricole, au Nord comme au Sud, pour favoriser une meilleure diffusion de pratiques agro-écologiques reposant sur une revalorisation de savoirs endogènes.
Article proposé par Jean-Pierre DEL CORSO, enseignant à l’ENSFEA, jean-pierre.del-corso@ensfea.fr
Contacts :
Vanessa FORSANS et Jean-Roland ARBUS, animateurs du réseau Afrique de l’Ouest, vanessa.forsans@educagri.fr et jean-roland.arbus@educagri.fr
Rachid BENLAFQUIH, chargé de mission coopération Afrique / ECSI / expertise internationale au BRECI/DGER, rachid.benlafquih@agriculture.gouv.fr