Innovation ne rime pas [toujours] avec digitalisation

Le French South African Agricultural Institute – F’SAGRI a bénéficié de l’expertise d’Eric DEBOEUF, directeur d’exploitation de la ferme de Borde Basse de l’EPLEFPA de Saint-Gaudens, en novembre 2023 et ce pendant 10 jours, pour présenter la vision française de l’innovation en agriculture au Botswana.

L’intervention de l’expert Eric DEBOEUF, mobilisé par le réseau CEFAGRI de la DGER via le BRECI, a préfiguré ce que pourrait être l’appui des directeurs d’exploitations agricoles dans le dispositif F’SAGRINNOV, structure bilatérale, qui est en devenir et qui sera dédiée à l’innovation.

Cette mission d’expertise s’est déroulée en deux temps, le premier par un déplacement au Botswana à l’occasion de la Global Entrepreneurship Week, puis par des visites de structures partenaires et de fermes dans deux provinces d’Afrique du Sud.

Au Botswana : parler d’innovation frugale devant un public acquis à l’innovation technologique

Lors de leur déplacement au Botswana, Eric DEBOEUF et Séverine JALOUSTRE, Directrice adjointe du F’SAGRI, ont tout d’abord participé à une réunion au Ministère de l’Agriculture avec le Ministre, l’ensemble de ses conseillers agricoles, l’Ambassadeur Olivier BROCHENIN et l’équipe française, constituée de représentants du Service Economique Régional, de Business France et de Hervé Lejeune, membre du Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER) venu faire une mission d’identification de pistes de collaboration entre le Botswana et la France. Cette réunion a été l’occasion d’évoquer ces pistes avec les partenaires botswanais.

Ensuite, ils ont pu rencontrer les représentants de BUAN, the Botswana University of Agriculture & Natural Ressources. Cette rencontre a permis de promouvoir le F’SAGRI et ses activités, la richesse du réseau d’expertise française et de prendre des contacts pour de futurs projets.

Le point d’orgue de ce déplacement a été le séminaire dédié à l’innovation organisé par Mooketsi Tekere, jeune entrepreneur botswanais qui a créé un « innovation hub ». Durant ce séminaire, Eric a pu présenter le continuum recherche-innovation-enseignement agricole porté par la Direction Générale de l’Enseignement agricole et de la Recherche et le rôle que peut jouer une exploitation agricole au sein d’un Établissement d’enseignement agricole dans ce continuum. Sa présentation, fort appréciée, a mis l’accent sur la nécessité de bien réfléchir aux innovations que l’on souhaite mettre en place et sur l’intérêt des innovations « non technologiques », allant à l’encontre de l’idée reçue partagée par une grande partie de l’audience botswanaise, selon laquelle toute innovation passe par le développement d’une application sur smartphone. Concernant les innovations « non technologiques », Eric a insisté dans sa présentation sur toutes les pratiques agronomiques, zootechniques, les méthodes et les techniques innovantes mises en place sur la ferme de Borde Basse.

En Afrique du Sud : visite de partenaires et de jeunes fermiers afin de préciser ce que pourrait être l’action du F’SAGRI

Dans le Gauteng, une première journée a été consacrée à la visite de deux fermiers, membre de l’African Farmers’ Association of South Africa – AFASA, qui regroupe de jeunes agriculteurs.

Le matin, Kea, jeune agricultrice de 26 ans installée avec ses parents faisait visiter sa ferme de 310 hectares produisant de la viande bovine, complétée par des activités de diversifications autour du maraichage notamment.

L’après-midi, c’était au tour de Katlego, 37 ans, de présenter sa « micro ferme » de production de cannabis et ses dérivés (pour la recherche, l’expérimentation, la transformation en divers produits : huiles, crèmes, etc.).

Ces deux visites ont permis d’échanger sur les difficultés de ces jeunes agriculteurs, dont l’activité peine à se développer par manque de moyens et d’appui.

La deuxième journée fut consacrée à la visite de l’ARC (équivalent de l’Inrae) pôle production animale, à Pretoria. Ce site comporte, entre autres, un centre de recherche sur la viande qui intègre un abattoir avec un laboratoire de recherche, un centre de recherche en industries laitières et un pôle vaches laitières.

Cette visite a aussi été l’occasion de rencontrer le Professeur Norman Maiwashe, responsable de ce site mais aussi directeur du F’SAGRI… un temps mis à profit pour discuter des premières conclusions de cette mission et des leçons à en tirer pour définir les prochaines actions du F’SAGRI.

La fin de la mission d’Eric s’est déroulé dans le Limpopo, avec une première journée de visite de l’Université de Venda et de sa ferme expérimentale et pédagogique. L’Université de Venda envisage de créer un centre d’excellence pour appuyer le développement économique des communautés locales et a pu, à ce titre, bénéficier de l’expérience d’Éric dans l’organisation d’ateliers de vulgarisation destinés aux agriculteurs.

Lors de la deuxième journée, Judith, une agricultrice expérimentée et diplômée en agriculture, faisait visiter sa ferme. C’est une ferme de 40 ha, orientée vers la production de volailles de chair, la culture maraichère de plein champ et sous serre ainsi que quelques arbres fruitiers. Judith n’est pas inconnue du F’SAGRI puisqu’en 2020, elle remportait un appel à petits projets du FSAGRI qui a permis de financer une petite pépinière pour les semis. Depuis, la ferme, alors florissante, a connu des difficultés dont Judith peine à se tirer.

Un rapport de mission a été réalisé par Eric et Séverine et rendu à la DGER avec un certain nombres d’axes et de propositions de travail. Déclinés étapes par étapes, ils permettent de proposer une feuille de route dans le prolongement de cette mission.

Avis d’expert

Bonjour. Je suis directeur d’exploitation agricole depuis 14 ans après un cursus dans l’enseignement agricole en Auvergne à Lempdes (63) et un diplôme d’ingénieur de l’ENITA de Clermont-Ferrand (63). Un passage dans le Jura (EPLEFPA de Montmorot) puis en Haute-Loire (EPLEFPA du Velay), je suis actuellement directeur de la Ferme de Borde Basse de l’EPLEFPA de Saint-Gaudens en Haute-Garonne.

C’est une ferme de 175 ha avec 5 salariés pour 4,25 ETP et 3 ateliers de production. Un atelier de 80 vaches laitières en agriculture biologique, un atelier de transformation de produits laitiers (yaourts, crèmes desserts, fromage blanc et faisselle et fromage lactique) et pour finir un atelier ovin viande en label Rouge et IGP agneaux des Pyrénées. Les 175 ha de SAU sont destinés à l’alimentation des troupeaux ainsi qu’à l’accueil des 300 béliers de la station d’évaluation et de vente de reproducteurs de l’UPRA Ovine des Pyrénées Centrales. La ferme est résolument tournée sur ses 5 missions avec de nombreux projets autour de l’agroécologie en lien de plus en plus étroit avec le changement climatique, par nécessité. De nombreux partenariats et projets d’expérimentations sont menés dans ce sens avec le Chambre d’Agriculture (31), l’INRAE de Toulouse et le GIP Transition de Toulouse, etc.

Malgré la distance de la ferme (11km) de l’établissement, nous accueillons chaque semaine les élèves et apprentis en mini-stages et en travaux pratiques sur l’ensemble des ateliers.

Comment as-tu été associé à cette mission du F’SAGRI ?

J’ai été contacté par l’animatrice du réseau CEFAGRI, sur recommandation de mon directeur Vincent LABART qui m’a d’abord parlé très succinctement de la mission en Afrique du Sud et au Botswana pour un départ dans les 10 jours, conditionné par un besoin de réponse rapide !

J’ai donné une réponse positive de principe et les choses se sont enchaînées rapidement avec quelques visio-conférences avec le réseau CEFAGRI, le BRECI, et Séverine Jaloustre, pour présenter, organiser et préparer la mission.

Quelles conclusions en tires-tu en termes de projets pour le F’SAGRI ?

Potentiellement, le champ des possibles est immense (à mettre au regard de la taille du pays aussi) et les besoins réels ! Le F’SAGRI peut jouer un rôle intéressant et complémentaire sur place aux côtés des agriculteurs de ses zones de collaborations. Il y a des besoins en formations techniques mais aussi managériales et commerciales. A chaque visite que l’on a pu faire, les échanges ont été riches et surtout très vite orientés sur de la technique, des « trucs et astuces », des approfondissements sur les business plans, etc. Cette vision est bien sûr à étoffer et à compléter lors d’éventuelles nouvelles missions.

Comment peut-on y associer les DEA ?

Les Directeurs d’exploitation agricoles et des Directeurs d’ateliers technologiques (DEA/DAT) pourraient être associés de diverses manières aux projets menés par F’SAGRI en participant et en animant des webinaires pour des échanges d’expériences et de méthodologies de réflexion et de gestion des exploitations.

Ils peuvent mettre en place un système de mentorat entre des candidats ayant des projets présentant un certain degré d’innovation et des DEA/DAT avec des typologies de production assez similaires et un niveau d’anglais satisfaisant.

Les DEA sont les référents pour la mise en place de programme de mobilité en France, pour faire venir des candidats sélectionnés en amont par le F’AGRI sur des EPLEFPA pour des visites d’exploitations, des échanges avec les étudiants, etc. Les candidats pourraient éventuellement participer à des formations ciblées lors de cette mobilité courte. L’objectif à terme serait que ces candidats deviennent de futurs « formateurs internes » pour le F’SAGRI en Afrique du Sud.

De manière plus personnelle, qu’as-tu retiré de cette expérience ?

Je suis reconnaissant d’avoir pu participer à une telle mission et que le réseau CEFAGRI ait fait appel à moi. C’est enrichissant sur le plan professionnel mais aussi personnel de découvrir un autre pays et une partie de son agriculture et de sa population. Au début de la mission, il a fallu « dépoussiérer » mon anglais pour être de plus en plus à l’aise dans les échanges que j’ai pu avoir.

Je remercie une nouvelle fois Séverine JALOUSTRE pour son accueil sur place, sa bienveillance et la conduite de cette mission ainsi que toute mon équipe de salariés de la ferme qui a, en mon absence non anticipée, assuré une bonne continuité de fonctionnement.

Photo de tête d’article, crédit photographique Tshekiso Tebalo/Xinhua – Tomates sous des panneaux solaires à l’Université d’agriculture et de ressources naturelles du Botswana à Gaborone, au Botswana

Contacts : Séverine JALOUSTRE, responsable du programme F’SAGRI, severine.jaloustre@ul.ac.za

Vanessa FORSANS, animatrice du réseau CEFAGRI de la DGER, vanessa.forsans@educagri.fr

Rachid BENLAFQUIH, chargé de coopération Afrique subsaharienne/ECSI/expertise à l’international au BRECI/DGER, rachid.benlafquih@agriculture.gouv.fr

 

 

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